dimanche 6 mai 2012

Le temps des sucres

Je pose souvent la question: est-ce qu'un artiste se doit d'être engagé ? 

Je me questionne aussi sur mon propre engagement en tant qu'artiste...

Le rose a t-il sa place en politique ? La question reste en suspend, faute de courage peut-être. Encore faut-il savoir dire et plus encore, appuyer ces dires sur un savoir certain. Je refuse, autant que peu se faire, la partisanerie et tous les jours, j'essaie de tenir mes idées et convictions bien à l'abri du militantisme, pour ne pas dire du prosélytisme. 

Bien à l'abri, certes, mais parfois, mon cœur s'enflamme et ma tête s'échauffe. L'émotivité est après tout une de mes compagnes les plus fidéle. 

Ma mère martèle depuis des lustres qu'en société deux sujets sont à éviter : la politique et la religion. Elle n'a pas tort, puisque ma propre expérience à, bien une ou deux fois, confirmé ses dires... Je lui en veux parfois d'avoir raison! Mais voilà que nos opinions se confrontent, prennent la forme d'un conflit générationel. Elle me lance l'argument signé Martineau: oublie les deux bières par semaine! J'en suis estomaquée. Voilà que ma propre mère me sert la poutine médiatique avec son aplomd habituel, si sure d'être dans son droit. L'ordre civile avant tout, me dit-elle. La violence n'est pas une solution!

Je suis hors de moi. Immédiatement mon sang fait un bon dans mes artères. Ma mère est une baby-boomer, née au Maroc. Elle a fait son service militaire en Israël puis est débarquée ici au début des années 70. Je vous dis cela pour que vous ayez une idée de son parcours. Ma mère est d'une grande lucidité, son expérience de la vie est solide et riche; pourtant, je sens un mur s'ériger entre nos deux réalités. Une incompréhension mutuelle s'installe lourdement, nous avons choisi deux camps différents.

C'est à ce moment que j'ai compris avec une certitude profonde ce qui me touche réellement dans ce « Printemps Québecois ». Cette lettre parue dans le journal Voir, le 22 mars 2012, résume à elle seule ce sentiment bouillonant que j'ai ressentie à cet instant:
« J’ai jamais rencontré le peuple québécois… [...] J’ai bien croisé sept ou huit millions de solitudes…de femmes aimantes et d’hommes mal aimés, mais jamais un peuple! Aujourd’hui je l’ai rencontré… »  ( Voir le texte complet )     
Alors comment ne pas voir autour de moi ces milliers de visages, entendre autour de moi ces milliers de voix qui dans un écho réclament ce que mon cœur exige: l'appartenance à une même voix et la liberté qu'elle assure ? 
« [...] Il n’y a véritablement de liberté individuelle que dans son incarnation et expression collectives. Ce que les étudiant-e-s expriment, c’est  le refus de la perte du monde commun. Les étudiant-e-s ont bien compris que le chantier de démolition qui tient lieu d’avenir qu’on leur offre est non seulement une insulte à l’intelligence, mais aussi une impasse de civilisation. Les étudiant-e-s n’ont rien à perdre que leurs dettes, ils ont un monde à se réapproprier. » ( Voir le texte complet )
Du même coup, comment ne pas crouler de rage sous les regards méprisants d'une société engoncée, devant le discours démagoge que ma mère emprunte aux médias ? 

Je ne peux ou je ne veux pas, rester de glace devant les boulversements qui agitent le sol de ce confort apeuré auquel nous nous sommes habitués, qui s'ébranle sous le poids de milliers de souliers; de milliers de pas vers un avenir qu'ils espèrent, oui, plus rose...

Ce que je crois ou veux croire n'a ici que très peu d'importance. Je ne suis ni de droite, ni de gauche. Je suis, point. Quoi que certain dirons et peut-être à juste titre, que je suis à gauche; soit! Mais à quoi bon réduire nos aspirations à une seule direction?

Je préfère être ambidextre, habile de ma gauche autant que de ma droite; je refuse d'être latéralisée. 

Je refuse d'être catégorisée: artiste, gauchiste, socialiste... Je refuse d'être d'un côté du mur. 

C'est la peur de ne pas comprendre qui appose les étiquettes; c'est la peur de na pas être compris qui transforme ces étiquettes en panneaux publicitaires. 

Je dis cela pour vous faire entendre mon désir d'ouverture, de partialité. 

Je suis citoyenne. Citoyenne d'une terre riche, franche et idéaliste. Je refuse de croire que d'aspirer à des jours meilleurs est une utopie. Aspirer à mieux n'est ni un crime, ni de l'aveuglement; c'est un droit, un devoir.

Démocratie oblige!

Or, cette démocratie que l'on se tare d'être garant, s'éffrite sous nos yeux. Comment ne pas voir ce monstre médiatique étouffer la vérité ? Comment ne pas hurler devant cette acharnement à museler une parole collective ? 

D'autres diront que cette collectivité ne représente en fait qu'une minorité. Une poignée d'enfants gâtés qui se plaignent alors qu'ils ont tout cuit dans le bec. Nous avons les plus bas frais de scolarité en Amérique, nous sommes choyés si on se compare à d'autres! 

Pourquoi sans cesse se comparer à d'autres ? Pourquoi sans cesse vouloir niveler vers le bas ? Nous nous confortons bien à tort de cette conviction d'avoir un gazon plus vert que notre voisin.

Au lieu de tendre l'oreille, nous nous gargarisons de débats sémantiques. Au lieu de tendre la main, nous nous appliquons à définir ce qu'est la violence. Bien sure, j'avais oublié; la démocratie c'est : causes toujours! 

Bref, j'ai hésité longtemps avant de vous partager ces quelques réflexions. La Dame ne fait pas dans le politique. La citoyenne, quant à elle, étouffe devant ce beau gâchis, tandis que l'idéaliste, elle, se réjouie de voir enfin couler la sève du renouveau... Et s'impatiente de pouvoir en récolter les sucres, avant qu'un autre hivers nous les fasse oublier. 

***

« Rien d'audacieux n'existe sans la désobéissance à des règles. »
de Jean Cocteau

« On ne peut pas dire la vérité à la télé, il y a trop de gens qui regardent. »
de Coluche

2 commentaires:

  1. On dit: tout CUIT dans le bec. Pas tout cru... l'expression perd tout son sens, héhé!

    -J.D.

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  2. Merci, votre vigilance est appréciée :)

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